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excellence et performance

Je me questionnais depuis longtemps sur le rapport entre la philocognition, l’intelligence et la performance. Qu’on l’appelle surdouance, précocité, neurodivergence ou philocognition, tout le monde voulait à tout prix considérer le phénomène comme le synonyme d’intelligence, plus spécifiquement même d’une intelligence « supérieure ». Je ne le sentais absolument pas comme ça. D’abord, on tournait en permanence autour du pot avec cette histoire. D’un côté, on affirmait que non, ces personnes n’étaient pas plus intelligentes que les autres, mais de l’autre, on disait qu’elles pensaient mieux et qu’elles avaient systématiquement un QI supérieur. Je rappelle que, dans les acronymes des tests de QI, les lettres « I » et « S » correspondent à « Intelligence Scale », soit « Échelle d’intelligence ». Cette hypocrisie m’a toujours irritée. D’autant que, réellement, je ne voyais pas ce que l’appétence pour la pensée pouvait avoir de commun avec l’intelligence, que je trouvais plus assortie au phénomène de performance.

La philocognition est une appétence.

C’est une orientation, une dynamique mentale, une façon d’habiter le monde en cherchant la pensée, la connaissance ou la réflexion comme d’autres cherchent la vitesse ou le lien. Elle dit quelque chose de l’énergie, pas de la qualité ni du résultat. On peut avoir une philocognition puissante et ne rien produire d’intelligent, ni dans le sens stratégique, ni dans le sens opératoire. Inversement, on peut manifester une intelligence redoutable sans éprouver une attirance particulière pour la pensée abstraite.

L’intelligence n’est pas, pour moi, un score, une essence ou une substance mesurable une fois pour toutes. C’est un état. Un état qui peut fluctuer au cours de la vie, d’une période à l’autre, d’un contexte à l’autre. Cet état peut se situer à trois niveaux : antiphase, compétence ou performance.

  • Antiphase, quand les ressources mentales sont désalignées, parasitées ou tournées contre soi. L’intelligence existe potentiellement, mais elle ne s’exprime pas dans le réel ; elle se grippe, s’éparpille, ou s’autodétruit.
  • Compétence, quand le système est aligné de manière stable, que la personne fonctionne correctement, mobilise ses capacités et les met au service de sa trajectoire, sans friction excessive.
  • Performance, quand tout s’aligne au plus haut niveau : compréhension, décision, action. C’est l’état où l’intelligence devient visible dans le réel.
  • La performance, c’est l’intelligence qui se voit. Elle se mesure dans les faits, dans les résultats tangibles, dans la fluidité de la mise en action. Elle ne se raconte pas, elle s’incarne.

Et entre intelligence et performance, il y a l’excellence. C’est là que tout se joue. L’excellence, c’est le chemin quotidien vers la performance. Ce n’est pas un état spectaculaire, c’est une pratique. Une discipline. Une façon de construire, jour après jour, les circuits et les automatismes qui permettront, le moment venu, à la performance d’émerger naturellement, sans effort conscient excessif. L’excellence, c’est la création d’automatismes, c’est l’entraînement pour la performance.

Dans mes travaux en neurosciences, cette distinction est apparue de manière nette. Nous avons étudié, par IRM de diffusion et analyse de graphes, la structure cérébrale de cinquante-cinq hommes adultes, en corrélant différents indicateurs à leurs revenus individuels (proxy économique de performance), ainsi qu’à leur QI. Les résultats ont été très clairs : la performance corrèle à la modularité du réseau structural cérébral, pas au QI. Autrement dit, les cerveaux des personnes performantes présentent une organisation en modules plus nets, des connexions plus efficaces, des trajets plus courts. Ils sont câblés pour basculer rapidement d’un réseau à l’autre, pour enclencher les bonnes réponses au bon moment.

Cette modularité ne mesure pas la quantité de raisonnement conscient. Elle traduit une architecture permettant une prise de décision rapide, stable et fluide. Elle correspond, sur le plan comportemental, à la capacité de performer sans avoir à « réfléchir » en permanence au sens discursif. L’intelligence est toujours là, mais elle est passée dans une forme intégrée : les automatismes prennent le relais.

C’est exactement cela, l’excellence : le processus d’installation de ces automatismes de haut niveau. Elle demande du temps, de la rigueur, de la répétition ciblée, de la clarté dans les objectifs. Elle consiste à faire passer dans le système nerveux ce qui, au départ, est coûteux et conscient. Elle transforme des efforts isolés en routines efficaces, des gestes hésitants en réponses naturelles, des prises de décision laborieuses en choix rapides et justes.

Quand l’excellence est installée, la performance peut advenir. Elle n’est pas garantie, mais elle devient possible et stable. Sans excellence, la performance reste accidentelle. Elle dépend d’un alignement temporaire, fragile, difficile à reproduire. Avec excellence, elle devient une conséquence logique d’une architecture bien construite.

La philocognition, dans ce cadre, peut nourrir l’excellence si elle est bien orientée. Une curiosité puissante, une soif d’apprendre et de comprendre peuvent conduire à des entraînements mentaux exigeants, à des répétitions éclairées, à une structuration fine des routines intellectuelles. Mais si cette philocognition se perd dans l’abstraction, la dispersion ou la fascination pour la pensée elle-même, elle reste stérile.

La performance n’est pas une récompense divine, ni un don. C’est un état neuropsychologique particulier, observable et mesurable, qui émerge quand l’intelligence s’est transformée en action automatisée efficace. Ce n’est pas le génie romantique, c’est l’architecture concrète.

On confond souvent intelligence et performance. On confond aussi souvent performance et excellence.

Mais les trois sont différents :

La philocognition est une orientation.

L’intelligence est un état.

L’excellence est une pratique quotidienne structurante.

La performance est l’expression visible de l’intelligence dans un système entraîné.

L’excellence prépare, la performance révèle. Sans excellence, la performance est instable. Sans intelligence, l’excellence est mécanique. Sans philocognition, elle peut manquer de profondeur. Mais confondre ces notions empêche de comprendre réellement ce qui se joue.

La performance n’est pas le fruit d’une pensée supérieure abstraite, c’est le résultat d’un état d’alignement et d’automatisation. L’excellence en est la forge quotidienne.

Dans mes conférences, je donne les clefs en psychologie et neurosciences pour comprendre et exploiter ces différentes dimensions pour la grandeur humaine.